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La Musique Contemporaine s'invite dans les Collèges & Lycées

Lauréat 2012

 

Consacré par plus de 3000 élèves et près d'une centaine de professeurs d’éducation musicale (92 lycées inscrits en 2012), Philippe Hersant a reçu au Théâtre du Châtelet le 22 mars 2012 non seulement le Grand Prix Lycéen des Compositeurs 2012 mais aussi le Prix des Professeurs pour son œuvre Éphémères. Ce prix lui a été remis par Benoît Duteurtre, écrivain et directeur de musique nouvelle en liberté, à l'issu d'un débat organisé par La Lettre du Musicien et animé par Dominique Boutel*, productrice à Radio France.

 

 

Rencontre à Nevers

 

Le Grand Prix Lycéen des Compositeurs permet non seulement aux lycéens qui y participent de découvrir et d'approfondir leurs connaissances en matière de musique contemporaine mais aussi, pour quelques-uns d'entre eux, de rencontrer les compositeurs qui se rendent dans certains établissements inscrits malgré la contrainte d'emplois du temps souvent surchargés. Frédérique Triquet, responsable de l'organisation du Grand Prix à La Lettre du Musicien, ne s'est pas contentée de mettre en place ces rencontres ; elle a demandé à des journalistes d'en relayer l'esprit par des reportages écrits et filmés. Voici le compte-rendu de la rencontre entre Philippe Hersant et les élèves du Lycée Alain Colas de Nevers. Jérémie Szpirglas, qui a réalisé plusieurs reportages sur les compositeurs en lice, rapporte ici les temps forts de ce moment privilégié.

Dans le cadre du Grand Prix Lycéen des Compositeurs 2012, Philippe Hersant a été reçu par Alain Chaussin, professeur d’éducation musicale des sections musiques du lycée Alain Colas de Nevers. Nullement nouveau dans le monde de la musique contemporaine — Alain Chaussin, compositeur lui-même, a fondé l’APREM (Association Pour la Recherche Musicale), centre de musique contemporaine de Nevers dans le cadre duquel il initie également ses élèves à la création — c’est seulement la deuxième année qu’il engage ses élèves dans l’aventure du Grand Prix, et c’est la première fois qu’il reçoit un compositeur. Le hasard faisant bien les choses, en recevant Philippe Hersant, Alain Chaussin s’est retrouvé face à son ancien professeur (Philippe Hersant fut enseignant à la Sorbonne de 1974 à 1978).

Malgré l’équipement audio, vidéo et instrumental tout juste suffisant de l’auditorium où se déroule la rencontre, les étudiants sont très curieux du rapport que le compositeur entretient avec le Japon. Ils l’interrogent particulièrement au sujet du poète Bashô et à la forme des haïkus qui ont inspiré la série de vingt-quatre courtes pièces qu’est Éphémères. Pour illustrer sa démarche, et son attachement à recréer musicalement la respiration unique des haïkus ainsi que l’imagerie si singulière qu’ils véhiculent, Hersant leur parle cinéma — un art qu’il connaît bien pour y avoir contribué, notamment en écrivant la musique du film Être et avoir (2002) de Nicolas Philibert. Un art, aussi, qu’il aurait aimé pratiquer lui-même, nous dit-il. Il parle aux élèves de montage et de rythme, de fondus enchaînés et de cuts. Il établit un parallèle hardi entre le foisonnement interruptif d’un Webern et le montage à couper le souffle d’une scène de meurtre prise dans Le Parrain de Francis Ford Coppola (le meurtre de Sonny) ou entre ses propres pièces (notamment Guerriers) et un plan séquence virtuose d’Antonioni (le meurtre de David Locke/Jack Nicholson dans Profession : reporter). « L’idée musicale, dit Hersant, me vient souvent dans un flash. Son développement en une œuvre aboutie exige un énorme travail qui s’apparente au montage d’un film. Le flash, c’est ce qu’on pourrait appeler l’inspiration. Le montage, c’est un artisanat délicat, réalisé à la table. »

Philippe Hersant commente ainsi son œuvre : « Les vingt-quatre pièces qui constituent ce cycle pour piano ont été composées dans le désordre et à intervalles très irréguliers entre 1999 et 2003. Tout est parti d’une petite pièce nommée Haïku. Le pianiste Thierry Ravassard avait passé commande de courtes pièces pour piano à une vingtaine de compositeurs, dont je faisais partie. Chacun d’eux devait s’inspirer d’un haïku du poète japonais Buson. J’ai donc écrit un petit morceau d’une minute environ et j’ai eu envie de lui donner une suite. Haïku est devenu (après quelques modifications) Lune voilée, la huitième pièce des Éphémères. Elle porte en exergue, non pas le poème de Buson qui avait inspiré Haïku, mais un poème de Bashô, autre très grand maître de l’art du haïku, avec lequel je me sens plus en affinité. J’ai fait une petite sélection des poèmes de Bashô qui me plaisaient, ou m’inspiraient particulièrement et j’ai commencé l’écriture des pièces, en toute liberté, sans m’imposer de règle précise, sinon celle d’une relative brièveté : la pièce la plus courte dure trente secondes, la plus longue, quatre minutes.

Les haïkus de Bashô sont des notes de voyage d’un type particulier : On y trouve ni épanchements lyriques ni descriptions grandioses. Bashô, la plupart du temps, se concentre sur des choses ou des événements microscopiques : une luciole qui tombe d’une feuille, un corbeau perché sur une branche…Dans leur extrême simplicité, je trouve ces miniatures très évocatrices et, par associations d’idées, leur lecture a progressivement déclenché en moi une affluence de souvenirs, parfois très anciens. Le cycle des Éphémères est devenu, pour moi aussi, une sorte de journal de voyage. On y trouve, en cours de route, des allusions à des musiques très diverses : souvenirs de musique traditionnelle japonaise (le gagaku) dans Guerriers, d’une chanson polyphonique espagnole de la Renaissance dans Le poulpe, d’un prélude de Claude Debussy (Dans l’air du soir), d’un hymne de Gurdjieff dans Vallée du Sud ou d’une chanson de Heinrich Isaac dans la dernière pièce, La lande, que j’ai écrite en mémoire d’Olivier Greif et en m’inspirant du tout dernier haïku de Basho, dicté à ses disciples quelques heures avant sa mort. Les Éphémères sont dédiés à Alice Ader. »

Jérémie Szpirglas - Mediapart*

 

* Ce débat ainsi que des interviews de lycéens, de professeurs et de compositeurs a été retransmis le samedi 5 mai 2012 sur France Musique, entre 16h et 17h30, dans l'émission Fabrication maison conçue et animée par Dominique Boutel.

 

Un prix ludique et spontané

A l'issue de la remise du Grand Prix à Philippe Hersant, Jérémie Spzirglas a demandé au compositeur ce qu'il pense de ce Prix et ce que l'approche d'un jeune public lui a apporté.

 

Philippe Hersant, vous venez de recevoir le Grand Prix Lycéen des Compositeurs : quelle a été votre première réaction ?

Le fait même que ce prix soit décerné par des lycéens en fait l’un des plus jolis et sympathiques qui soient. Un peu à la manière du Prix Goncourt des Lycéens en littérature, je crois que tous les lauréats s’en sont trouvés très touchés — je me souviens notamment de Jean-Louis Florentz, qui l’a reçu quelques mois avant de mourir : ce prix a été pour lui un rayon de soleil. C’est un prix spontané, affectif, non déterminé par des considérations commerciales : le jeu n’est pas pipé, il n’y a ni lobby, ni renvoi d’ascenseur. Et c’est très agréable.

 

Vous avez par le passé remporté les Victoires de la Musique à deux reprises : comment ce prix-ci se distingue-t-il d’une Victoire ?

Les Victoires de la Musique sont un prix décerné par le milieu musical et, en tant que tel, un peu plus anonyme. Là, ce sont des jeunes, que, pour certains, j’ai rencontrés, et qui étaient présents lors de la remise du prix.


Que pensez-vous justement de cette démarche de rencontres qui accompagne le prix ?

J’ai toujours trouvé l’idée fort belle. Indépendamment du prix en lui-même, la compétition, et son aspect un peu ludique, permet de faire entendre à des jeunes lycéens une musique de leur temps qu’ils n’écoutent pratiquement jamais. Un élève d’un lycée de Saint-Étienne m’a dit avoir mis l’une de mes pièces sur son iPod entre deux chansons de rock : si ne serait-ce que deux élèves veulent aller plus loin, c’est déjà gagné : on a tant besoin de former un nouveau public !
D’autant plus que ces rencontres sont de mieux en mieux organisées : je faisais déjà partie de la sélection du tout premier prix, et j’ai pu constater l’évolution. Aujourd’hui, tout marche à merveille, et ces rencontres sont formidables ! Bref, c’est une superbe initiative, et j’espère qu’elle durera longtemps encore.
 

Comment avez-vous abordé ces rencontres ?

De diverses manières. La veille de l’une d’entre elle, j’ai eu l’idée d’établir une analogie entre l’écriture musicale et le montage cinématographique. Je suis convaincu que, en faisant appel à des sujets qui seraient plus familiers aux étudiants — comme le cinéma ou la peinture —, on peut d’autant mieux éveiller la curiosité et éclairer un art qu’ils connaissent peu.


Éphémères est une suite de miniatures d’après des haikus de Bashô : croyez-vous que ce format court et cette référence a joué dans le choix des élèves ?

C’est possible, je n’en sais rien : cet aspect sinon descriptif, du moins lié à un autre art, ouvre peut-être la porte. Quant à moi, je pensais au contraire que l’austérité de ces pièces pour piano ne les emballerait pas, et que l’orchestre des œuvres de mes collègues les impressionnerait davantage. Apparemment, j’avais tort !


Propos recueillis par Jérémie Szpirglas

Retrouvez les vidéos de Jérémie Szpirglas consacrées au GPLC sur www.dailymotion.com/jesebbach :

Edith Canat de Chizy
Bernard Cavanna
Philippe Hersant
Remise du Grand Prix